Onychodystrophies : En quête d’un diagnostic
- Pr. Nejib DOSS, Tunisie
- 23 juin
- 6 min de lecture

Introduction :
Les modifications de l’appareil unguéal (onychodystrophies) peuvent avoir plusieurs étiologies. Le diagnostic clinique repose sur plusieurs éléments (anamnèse, signes cliniques, prélèvement mycologique, dermoscopie, histologie). Les onychomycoses qui sont souvent retenues comme diagnostic ne représentent en fait que la moitié des étiologies.
Des cas cliniques seront exposés où les étiologies ne sont pas communes mais qu’il faut garder à l’esprit afin d’éviter un retard de diagnostic et par conséquent une prise en charge incomplète.
1-Onychomatricome : il s’agit d’une patiente âgée de 42 ans qui est venue consulter pour une pachyonychie (épaississement de la tablette unguéale) du gros orteil droit de couleur jaunâtre avec une hypercourbure transversale et des hémorragies filiformes (Fig.1). Cette modification avait débuté deux ans auparavant. Un prélèvement mycologique avait été pratiqué et était revenu positif. Un traitement antimycosique pendant six mois n’avait pas amélioré l’aspect de l’ongle. Vu la tuméfaction évidente du repli proximal de l’ongle, un examen IRM avait été demandé et il avait révélé l’existence de digitations qui prennent part de la matrice de l’ongle et s’invaginent dans la lame unguéale (Fig.2).
L’avulsion de la tablette met en évidence une tumeur matricielle multilobée dont les digitations pénètrent dans la tablette qui apparaît creusée de multiples cavités (Fig.3). L’examen anatomo- pathologique avait confirmé le diagnostic d’onychomatricome.
L’onychomatricome est une tumeur bénigne sous-unguéale qui prend naissance au niveau de la matrice et dont le diagnostic doit être évoqué devant l’exagération de la courbure de l’ongle atteint avec un aspect jaunâtre et des hémorragies filiformes (1). C’est une tumeur qui est souvent confondue avec une onychomycose (2). L’IRM permet de mettre en évidence l’origine de la tumeur et son aspect digitiforme (3).



2-Exostose sous-unguéale
Patient âgé de 52 ans consultant pour une hyperkératose sous-unguéale du gros orteil gauche évoluant depuis deux ans, associée à une douleur surtout au cours de l’appui (Fig.4)
Un prélèvement mycologique pratiqué était revenu positif et un traitement conséquent fût prescrit pour une durée d’une année, n’avait pas du tout changé l’aspect morphologique de l’ongle.
L’inefficacité d’un traitement antimycosique bien conduit nous avait fait penser à une exostose sous-unguéale confirmée par un examen radiographique (Fig.5).
Une exérèse totale de l’exostose avait permis au patient de retrouver un ongle presque normal.
L’exostose sous-unguéale peut être à l’origine de plusieurs modifications au niveau de l’ongle atteint. Ces modifications varient en fonction du siège et de la taille de l’exostose. C’est un diagnostic à évoquer en cas de la chronicité de l’onychodystrophie, l’inefficacité des traitements anti mycosiques et la douleur souvent rapportée par les patients (4 ;5).


3- Psoriasis Unguéal : patient âgé de 48 ans qui consultait pour un épaississement des ongles des mains (pas tous les doigts) avec une leuconychie et une hyperkératose sous unguéale. Ces lésions avaient débuté une année auparavant et un examen mycologique était revenu positif mais un traitement antimycosique par voie générale a légèrement modifié l’aspect des ongles.
L’examen du reste du revêtement cutané n’avait pas montré de lésions spécifiques.
Le diagnostic de psoriasis unguéal fût évoqué devant l’inefficacité des traitements antimycosiques et la présence de quelques signes séméiologiques tel les hémorragies filiformes, les paronychies et les dépressions en dé à coudre au niveau des lames unguéales (Fig.6).

Un traitement par l’association corticosteroides et vit. D en topiques avait permis d’améliorer nettement l’aspect des lésions. Le traitement topique est indiqué lorsque le nombre des doigts atteints ne dépasse pas trois. Pour une atteinte plus étendue le traitement systémique est indiqué (6,7,8).
En fait l’atteinte unguéale au cours du psoriasis s’observe dans 15 à 80% des cas selon les études.
Ce qui est surtout important c’est que cette atteinte peut être isolée, c’est-à-dire sans aucune atteinte cutanée dans 5% des cas.
L’infection mycosique s’observe dans 50% des cas et c’est pour cette raison que les ongles psoriasiques sont souvent confondus avec une atteinte mycosique. L’atteinte unguéale au cours du psoriasis est un facteur de mauvais pronostic.
4- Lichen Plan Unguéal :
Patient âgé de 38 ans consultant pour une trachyonychie (aspect rugueux et opaque de l'ongle devenant fragile et par des hyperstriations longitudinales) au niveau des ongles des mains ainsi quelques ongles des orteils (Fig.7;8) ayant débuté une année auparavant. Le reste de l’examen cutané n’avait pas révélé d’anomalies spécifiques.
Le prélèvement mycologique était revenu négatif.


Le diagnostic de lichen plan unguéal fût évoqué devant l’aspect des ongles, la chronicité des lésions et l’inefficacité des traitements antimycosiques.
L’atteinte unguéale est observée dans 10 % des cas de lichen plan. Elle peut être isolée et le diagnostic peut être par conséquent retardé (9).
Les différents aspects cliniques observés au cours du lichen sont fonction du siège de l’atteinte : matricielle ou lit de l’ongle avec la possibilité d’évolution vers des lésions cicatricielles définitives (ptérygion). Une prise en charge précoce permettrait d’éviter l’évolution vers des lésions unguéales cicatricielles et non esthétiques (10,11).
5- Lèpre et ongles : il s’agit du cas d’une femme Mauritanienne âgée de 34 ans qui avait consulté pour des modifications au niveau des ongles de ses mains sous forme d’onycholyse, d’hémorragies sous-unguéales (Fig.9, 10). L’atteinte des ongles n’était pas totale. Ces modifications sont apparues il y a trois mois.
Par ailleurs, le diagnostic de lèpre lépromateuse avait été posé chez cette patiente et un traitement avait déjà été entrepris.


En fait l’atteinte unguéale au cours de la lèpre est connue et a été bien étudiée malgré qu’elle ne soit pas souvent rapportée. Les manifestations unguéales les plus souvent rapportés sont l’onycholyse, les hémorragies sous unguéales, la leuconychie et les ponctuations dits en dé à coudre (12 ;13).
Conclusion :
Le diagnostic étiologique des onychodystrophies peut poser problème du fait de la ressemblance clinique des différents signes rencontrés. Un œil plus éveillé, une anamnèse bien conduite et un examen clinique complet sont des éléments décisifs dans la démarche diagnostique des onychodystrophies. L’onychomycose souvent retenue comme diagnostic ne représente que la moitié des étiologies des onychodystrophies.
D’après le Pr Nejib Doss, Dermatologue - Centre Urbain Nord - Tunisie
Références :
1.Cristina Diniz Borges Figueira de Mello , Leandro Fonseca Noriega , Nilton Gioia Di Chiacchio , Jorge Ocampo-Garza , Nilton Di Chiacchio. Onychomatricoma of the Nail Bed. Skin Appendage Disord. 2019 Apr;5(3):165-168.
2.Penelope Kallis , Antonella Tosti. Onychomycosis and Onychomatricoma Skin Appendage Disord. 2016 May;1(4):209-12.
3. Olfa Charfi , Kahena Jaber , Ferdaous Khammouma , Faten Rabhi , Soumaya Youssef , Raouf Dhaoui, Nejib Doss Magnetic Resonance Imaging in the Diagnosis of Onychomatricoma: A Case Report. Skin Appendage Disord. 2019 Jun;5(4):246-250.
4. Jordan Orly , Sophie Leducq. Subungual Exostosis of the Toe. J Cutan Med Surg. 2022 Nov-Dec;26(6):646.
5. Mark P DaCambra , Sumit K Gupta, Fabio Ferri-de-Barros. Subungual exostosis of the toes: a systematic review. Clin Orthop Relat Res. . 2014 Apr;472(4):1251-9.
6. E Canal-García , X Bosch-Amate , I Belinchón , L Puig. Nail Psoriasis Actas Dermosifiliogr. . 2022 May;113(5):481-490.
8. Federico Bardazzi , Micela Starace, Francesca Bruni, Michela Magnano, Bianca Maria Piraccini, Aurora Alessandrini. Nail Psoriasis: An Updated Review and Expert Opinion on Available Treatments, Including Biologics. Acta Derm Venereol. 2019 May 1;99(6):516-523.
9. Mohit Kumar Gupta, Shari R Lipner. Review of Nail Lichen Planus: Epidemiology, Pathogenesis, Diagnosis, and Treatment. Dermatol Clin. 2021 Apr;39(2):221-230.
10. Matilde Iorizzo , Antonella Tosti , Michela Starace , Robert Baran , C Ralph Daniel 3rd, Nilton Di Chiacchio , Sophie Goettmann , Chander Grover , Eckart Haneke , Shari R Lipner , Phoebe Rich , Bertrand Richert , Dimitris Rigopoulos , Adam I Rubin , Martin Zaiac , Bianca Maria Piraccini Isolated nail lichen planus: An expert consensus on treatment of the classical form. J Am Acad Dermatol. 2020 Dec;83(6):1717-1723.
11. Grover C, Kharghoria G, Baran R. Nail lichen planus: A review of clinical presentation, diagnosis and therapy. Ann Dermatol Venereol . 2022 Sep;149(3):150-164.
12. Rajput CD, Nikam BP, Gore SB, Malani SS. Indian Dermatol Online Journal 2020 Mar 9;11(2):195-201. Nail Changes in Leprosy: An Observational Study of 125 Patients.
Patki AH, Baran R. Significance of nail changes in leprosy: a clinical review of 357 cases. Semin Dermatol. 1991 Mar;10(1):77-81.