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Le poids des maux, le choc des photos

La dermatologie est considérée comme étant la science de la contemplation et de la finesse séméiologique. Mais si la contemplation se prolonge au-delà des limites, les conséquences ne vont pas tarder à survenir. Le même constat se vérifie lors des maladies chroniques non régulièrement contrôlées et qui aboutissent à des complications sévères voire vitales.

C’est ce que nous allons étayer à travers de plusieurs cas cliniques où le diagnostic ne fût posé qu’après plusieurs péripéties.


Cas n°1: Maladie de Charcot-Marie-Tooth

Il s’agit d’une patiente âgée de 69 ans, suivie pour une maladie de Charcot-Marie-Tooth depuis plusieurs années ayant entrainé des modifications dans la posture de la patiente. Elle était par ailleurs, diabétique sous antidiabétiques oraux.

Elle avait consulté pour une ulcération plantaire de 4 cm de diamètre dont le fond est comblé par un tissu granulomateux qui déborde sur les limites de l’ulcère. Cette ulcération évoluait depuis plus d’une année sans aucune tendance à la cicatrisation (fig.1). Par ailleurs, la patiente se portait bien et l’examen clinique n’avait surtout pas retrouvé d’adénopathies inguinales.

Une biopsie du fond et des bords de l’ulcère fût pratiquée et elle avait éliminé toute nature tumorale de la lésion plantaire.

En fait, il s’agissait d’un mal perforant plantaire de taille inhabituelle et qui pourrait être la conséquence et de la neuropathie diabétique et de la neuropathie progressive de la maladie de Charcot-Marie-Tooth.


Faire la part de chacune de ces deux neuropathies est difficile. En fait, l’association de ces deux maladies chez la même personne n’est pas exceptionnelle et d’ailleurs, plusieurs études avaient rapporté cette association chez plusieurs familles faisant évoquer la possibilité d’un dénominateur commun génétique (1,2,3,4). Une surveillance très rapprochée de ces patients et une prise en charge adéquate surtout orthopédique permettrait d’éviter ces complications dont la prise en charge est très difficile.



Cas n° 2 : Calciphylaxie Pénienne

il s’agit d’un patient âgé de 57 ans, diabétique, artéritique et insuffisant rénal sous dialyse depuis cinq ans. Il nous a été adressé pour « lésions nécrotiques » au niveau des orteils et également au niveau du gland. Ces lésions évoluaient depuis plusieurs semaines et qui n’avaient pas répondu aux différents traitements symptomatiques (fig. 2, 3).

La palpation des lésions, qui étaient d’ailleurs algiques mettait en évidence une induration sous-cutanée. Le diagnostic de calciphylaxie fût posé devant l’aspect des lésions et surtout les antécédents du patient à savoir l’insuffisance rénale terminale et également la prise d’anti-vitamines K dans le but d’éviter les thromboses artérielles.



La calciphylaxie est la conséquence de l’oblitération des vaisseaux de petit et moyen calibre du tissu sous-cutané, cette oblitération est la conséquence de la calcification des parois vasculaires. Le dépôt de calcium au niveau des parois vasculaires est la conséquence de plusieurs facteurs entre autres : le déficit en vit K, l’hyperphosphorémie, l’hypercalcémie, l’hypovitaminose D, le diabète.La localisation pénienne est rare et son pronostic est très grave, vu qu’elle témoigne le plus souvent d’un terrain débilité et d’une atteinte le plus souvent multi systémique sévère (5,6).


Si la calciphylaxie se voit essentiellement au cours de l’insuffisance rénale terminale, néanmoins, elle a été rapportée chez des personnes dont la fonction rénale était normale et également chez les patients porteurs d’un lupus érythémateux systémique (7). Les manifestations cliniques se présentent sous forme d’érythème, de plaques indurées, de livedo reticularis de purpura bulleux, de nécrose et d’ulcération cutanées. Les lésions siègent au niveau des cuisses, des jambes, des points d’injection de l’insuline, des organes génitaux externes.

Parmi les diagnostics différentiels à évoquer, on citera : la cellulite, l’ecthyma, le pyoderma gangrenosum.



Cas n°3 : Carcinome Epidermoide Verruqueux du lit de l’ongle:

Il s’agit d’un patient âgé de 70 ans qui est venu consulter pour une lésion verruqueuse touchant tout l’ongle du gros orteil gauche ayant débuté il y a neuf mois. Plusieurs consultations avaient eu lieu et elles avaient donné à plusieurs traitements : antimycosiques, antiseptiques, azote liquide, antibiotiques sans aucun résultat patent.


L’examen clinique retrouvait effectivement un aspect verruqueux, friable, surinfecté par endroits du gros orteil gauche. La lame de l’ongle avait complètement disparu (fig.4, 5). Une biopsie du lit de l’ongle avait été faite, avec beaucoup de difficulté, car le tissu était friable et saignant (fig.6). Le verdict ne tarda pas à venir. C’était un carcinome epidermoide du lit de l’ongle.L’examen fût complété par une recherche de ganglions satellites et une radiographie du gros orteil qui mettait en évidence une ostéolyse osseuse témoin de l’envahissement de la dernière phalange par le processus tumoral. Une amputation du gros orteil s’était imposée (fig.6).





Il s’agit d’une tumeur rare (8) mais se présentant sous différents aspects cliniques faisant d’elle une grande simulatrice (9). C’est la raison pour laquelle le diagnostic est souvent fait avec beaucoup de retard. Plusieurs diagnostics peuvent être évoqués devant cet aspect à savoir : onychomycose, surtout à moisissures, verrue, autres tumeurs (10).



Cas n°4 : Bullose Diabétique

Il s’agit d’une patiente âgée de 62 ans diabétique depuis plus de vingt ans, déjà avec des complications oculaires, un début d’insuffisance rénale et des sensations de fourmillements au niveau des membres inférieurs. Elle était venue consulter pour ces grosses bulles apparues au niveau des plantes, sans facteur déclenchant évident selon la patiente (fig. 7, 8). L’examen retrouvait des bulles à contenu séro- hématique, à bordure érythémateuse et siégeant plutôt au niveau des zones d’appui. Le déficit sensoriel était évident au niveau des deux membres inférieurs.



La bullose diabétique est une des complications neurologiques du diabète qui pose plusieurs problèmes de diagnostic et de prise en charge. Souvent négligée ou attribuée à d’autres facteurs tels la mauvaise hygiène ou l’insuffisance de soins (11,12), la bullose diabétique peut être confondue avec des brûlures. D’ailleurs le patient ne se rend pas compte de l’éventuel accident du fait de la neuropathie diabétique. Les complications sont essentiellement d’ordre infectieux : érysipèle voire cellulite. Le traitement est long, il fait appel aux soins locaux et dépend de l’étendue des lésions (13,14).


Souvent, on est confronté à des situations où le diagnostic est posé avec beaucoup de retard, ce qui impacte sur la prise en charge avec parfois de lourdes conséquences. Le fait d’avoir un esprit éveillé, de ne pas hésiter à demander un avis pourrait rapporter gros.





Bibliographie:

  1. Stojkovic T. Hereditary neuropathies: An update. Rev Neurol (Paris). 2016 Dec;172(12):775-778.

  2. A-Ping Sun , Lu Tang , Qin Liao, Hui Zhang , Ying-Shuang Zhang , Jun Zhang. Coexistent Charcot-Marie-Tooth Type 1A and Type 2 Diabetes Mellitus Neuropathies in a Chinese Family. Neural Regen Res. 2015 Oct;10(10):1696-9.

  3. Ne Win HH, Davenport C., Delaney S., Kelly M, Smith D. Charcot-Marie-Tooth Disease Complicating Type 2 Diabetes. J Am Podiatr Med Assoc. Jul-Aug 2011;101(4):349-52.

  4. Hua-Chuan Chao , Cheng-Ta Chou , Yi-Chung Lee , Kon-Ping Lin Coexistence of Charcot Marie Tooth Disease Type 1A and Diabetes in Taiwan: A Clinicopathological Study. J Neurol Sci. J Neurol Sci 2015 Nov 15;358(1-2):213-20.

  5. David R, Nowicki J, Lee J, Dean N. Penile gangrene due to calciphylaxis: a multidisciplinary approach to a complex clinical challenge. BMJ Case Rep. 2019 Dec 5;12(12):e232138

  6. Yang TY, Wang TY, Chen M, Sun FJ, Chiu AW, Chen YH. Penile Calciphylaxis in a Patient with End-stage Renal Disease: A Case Report and Review of the Literature. Open Med (Wars). 2018 May 9;13:158-163

  7. AK , Park M, Amin B , Dunec A, McLellan BN, Balagula Y.Unique Clinical and Histologic Presentation of Catastrophic Systemic Calciphylaxis in a uremic Patient With Systemic Lupus Erythematosus. JAAD Case Rep. 2019 Feb 26;5(3):245-248.

  8. Chaabani M, Jaber K, Rabhi F, Abdelli W, Youssef S, Msakni I, Dhaoui MR, Doss N. Verrucous Carcinoma of the Nail Bed: A New Case. Skin Appendage Disord. 2019 Nov;5(6):370-373.

  9. Tambe SA, Patil PD, Saple DG, Kulkarni UY. Squamous Cell Carcinoma of the Nail Bed: The Great Mimicker. J Cutan Aesthet Surg. 2017 Jan-Mar;10(1):59-60.

  10. Haneke E. Important malignant and new nail tumors. .J Dtsch Dermatol Ges. 2017 Apr;15(4):367-386.

  11. Caiazzo G, Marrone M, Sannino A, Spanò A, Ambrosio P. An association of diabetic bullosis and diabetic neuropathy. A clinical case report. Minerva Med. 1989 Mar;80(3):295-7.

  12. Vangipuram R, Hinojosa T, Lewis DJ, Downing C, Hixson C, Salas-Alanis JC, Tyring SK. Bullosis Diabeticorum: A Neglected Bullous Dermatosis. Skinmed. 2018 Feb 1;16(1):77-79.

  13. Chouk C, Litaiem N. Bullosis Diabeticorum .2020 Apr 23. In: StatPearls [Internet]. Treasure Island (FL)

  14. Taylor SP, Dunn K. Bullous Diabeticorum J Gen Intern Med. 2017 Feb;32(2):220.


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