Au cours des dernières années en France, les patients connaissent des difficultés de plus en plus grandes pour avoir accès à un rendez-vous médical. D’un autre côté, les médecins qui continuent à travailler dans leurs cabinets, dans les hôpitaux et dans les cliniques sont sous une pression constante de la part des patients et de leur entourage. Alors que la journée de consultation du médecin se termine, les résultats à lire, les patients à rappeler, les dossiers de patients à compléter, et les lettres qui ne sont pas encore faites s’accumulent.
Cette pression constante sur l’épaule des médecins augmente la probabilité de dépression et au moins 62 % des médecins ont fait un épisode de dépression dans leur vie. De nombreuses études ont montré qu’il existait une relation entre la quantité de travail des médecins et le risque de développer une dépression chez les médecins.
L’intelligence artificielle et les chatbots peuvent-ils dessiner une nouvelle médecine source de créativité ou pourvoyeuse d’angoisse supplémentaire ?
Dans une étude très récente, des médecins-chercheurs ont comparé les performances de médecins experts avec un système d’intelligence artificielle, ChatGPT.
Ces auteurs ont choisi une question et une réponse de la part de médecins experts et ont comparé cette réponse à la réponse qui avait été donnée par le système d’intelligence artificielle, en l’occurrence ChatGPT. L’étude a porté sur 195 questions avec une seule réponse de la part du système d’intelligence artificielle et une seule réponse de la part du médecin expert.
L’évaluation des réponses a porté sur le nombre de mots dans la réponse médicale soit par le système d’intelligence artificielle soit par l’évaluation médicale traditionnelle. L’évaluation par des médecins experts extérieurs à l’étude a porté sur la qualité des réponses qui ont été classées selon une échelle de Likert entre « très mauvaise », « mauvaise », « acceptable », « bonne » ou « très bonne ». Le deuxième critère de qualité a porté sur l’empathie et a été évalué par une réponse comme « pas du tout empathique », « modérément empathique », « moyennement empathique », « empathique » et « très empathique ». L’ensemble de ces réponses a été placé sur une échelle de 1 à 5 avec la valeur de 5 qui représentait la meilleure valeur.
La question des patients avait en moyenne une longueur de 180 mots. La réponse des médecins avait en moyenne une réponse de 52 mots contre une réponse de 211 mots pour le chatbot.
Les évaluateurs externes ont préféré la réponse du chatbot dans 78,6 % des cas. Les évaluateurs ont qualifié de meilleure qualité la réponse du chatbot par rapport à la réponse des médecins et la moyenne des réponses du chatbot a été meilleure que bonne alors qu’en moyenne la réponse des médecins était en moyenne acceptable. La réponse du chatbot a été évalué plus empathique que la réponse des médecins.
Les résultats de cette étude soulèvent de nombreuses questions. Lorsque le patient décrit ses symptômes, le système d’intelligence artificielle analyse mieux l’ensemble des possibilités médicales que le médecin lui-même. Cependant, le médecin a l’habitude d’appréhender la globalité du patient dans sa dimension physique mais aussi psychologique et sociale. Il paraît évident que l’orientation initiale du patient sera mieux réalisée par le système d’intelligence artificielle que par le médecin qui, épuisé, répond à un mail ou à un coup de téléphone. Il y a sûrement des situations où le chatbot va remplacer le médecin comme les rapports standardisés de sortie, les certificats médicaux, ou les comptes rendu d’analyses médicales ou paramédicales complexes car le système d’intelligence artificielle aura été habitué à travailler sur des millions de données de santé…
À ce jour, le contexte médico-légal du chatbot n’a pas été tranché et l’Union Européenne entend bien réguler de manière très stricte l’utilisation de ces logiciels interactifs comme les chatbots. Dans le même temps, la France a autorisé des postes avancés de consultation médicale et le médecin est à distance sans qu’il sache exactement s’il s’agit d’un vrai patient de l’autre côté de l’écran et inversement, si l’on caricature à l’extrême… En d’autres termes, la détresse des patients est tellement grande que l’on ne voit pas comment on pourrait interdire ce système de première consultation de débrouillage car la plupart des visites médicales aboutissent à des diagnostics simples et à des conduites à tenir très standardisées. Les problèmes surgiront, lorsqu’au milieu des diagnostics évoqués par le chatbot, se cachera un diagnostic extrêmement sévère appelant une mesure thérapeutique d’urgence où le risque de mortalité est élevé….
Professeur Jean FERRIERES
Référence : Ayers JW, Poliak A, Dredze M, Leas EC, Zhu Z, Kelley JB, Faix DJ, Goodman AM, Longhurst CA, Hogarth M, Smith DM. Comparing Physician and Artificial Intelligence Chatbot Responses to Patient Questions Posted to a Public Social Media Forum. JAMA Intern Med. 2023 Apr 28: e231838. doi: 10.1001/jamainternmed.2023.1838.
