top of page

Enfin un antidote spécifique pour les Anti Xa ?


« Homo homini lupus est » L’homme est un loup pour l’homme, écrivait Thomas Hobbes dans Le Léviathan. Cette pensée initialement politique est probablement applicable au monde médical. Nos meilleurs traitements sont parfois nos ennemis. La bradypnée causée par l’agoniste morphinique ou encore le coma associé au surdosage en benzodiazépine en sont des exemples courants.

Heureusement nous avons à notre disposition des antidotes spécifiques permettant une réversion rapide des effets secondaires : la naloxone et le flumazénil dans ces deux cas présents. Cependant, certains traitements pourvoyeurs d’effets secondaires pouvant menacer le pronostic vital n’ont pas d’antidote reversant leur action.

Face au vieillissement de la population mondiale et à l’accroissement des pathologies cardiovasculaires de nombreux patients sont traités par une anticoagulation quotidienne. Les inhibiteurs du facteur Xa ont trouvé une place prépondérante dans l’arsenal thérapeutique compte-tenu de leur profil bénéfice-risque favorable pour le traitement et la prévention des événements thrombotiques.

Cependant, ils exposent à une majoration conséquente des pathologies hémorragiques, associées à une mortalité et une morbidité importante, du fait notamment de l’indisponibilité d’antidote spécifique. Les inhibiteurs de facteur Xa disponibles sur le marché sont : le rivaroxaban, l'apixaban, l'édoxaban ainsi que l’enoxaparine.

L’Andexanet Alfa est un facteur Xa recombinant modifié, qui présente une haute affinité pour les inhibiteurs directs du FXa mais également les complexes héparines-antithrombines et le fondaparinux mais qui est dépourvu d’activité catalytique. En Mai 2018, l’andexanet a été approuvé par la FDA (Food and Drug Administration) pour les patients traités par Apixaban et Rivaroxaban pour la réversion de l’anticoagulation dans les situations de menace du pronostic vital ou de saignement non contrôlé.

Cette étude publiée dans le NEJM début 2019 a le double objectif d’évaluer l’efficacité et la sécurité de l’Andexanet Alfa utilisé comme antidote des anti-Xa dans les situations d’hémorragies massives.

352 patients ont été inclus dans cette étude internationale (63 centres en Europe et Amérique du Nord) en ouvert de phase III entre Avril 2015 et Mai 2018. Les patients inclus présentaient une hémorragie majeure survenant au maximum 18 heures après la dernière administration du traitement anticoagulant.

Ces patients recevaient un premier bolus de 400 ou 800 mg d’andexanet en 15 ou 30 minutes, puis un relais par perfusion pendant 2 heures de 480 ou 960 mg en fonction de la molécule anticoagulante.

Les deux critères de jugement principaux concernant l’étude d’efficacité étaient le pourcentage de diminution de l’activité anti-Xa, et la part des patients ayant une efficacité hémostatique qualifiée de bonne ou d’excellente 12 heures après la perfusion d’andexanet. Concernant l’évaluation de la sécurité de la molécule à 30 jours, les auteurs se sont appuyés sur les événements thrombotiques, le décès ainsi que le développement d’anticorps.

La population analysée, majoritairement sous Apixaban (55%) et Rivaroxaban (36%), avait 77 ans en moyenne et présentait à l’admission une hémorragie intracrânienne (64%), gastro-intestinale (26%) ou d’autre cause (10%).

  1. Résultats d’efficacité : Après le bonus d’andexanet, l’activité anti-facteur Xa a baissé chez les patients qui étaient traités par de l’apixaban et du rivaroxaban, passant respectivement de 149,7 ng/ml et 211,8 ng/ml à l'inclusion à 11,1 ng/ml et 14,2 ng/ml en médiane. Soit pour les deux molécules une réduction de 92% d’activité anti-Xa. Les 16 patients analysés sous enoxaparine avaient une réduction de 75% passant d’un anti-Xa de 0,48 à 0,15 UI/l en médiane. Concernant la qualité de l’hémostase jugée 12 heures après la perfusion d’andexanet, elle était qualifiée de bonne ou excellente chez 204 des 249 patients analysables (82%). Plus en détail, l’hémostase bonne ou excellente était retrouvée pour 85% des hémorragies gastro-intestinales et 80% des hémorragies intracrâniennes. Et pour 80 % des patients sous rivaroxaban, et 83% des patients sous apixaban.

  1. Résultats de sécurité : Lors de l’analyse effectuée au 30ème jour de suivi, 10% des patients présentaient un événement thrombo-embolique. 49 patients, soit 14% étaient décédés principalement de causes cardiovasculaires. Seulement 2 patients ont eu une réaction lors de la perfusion mais jugée comme non sévère. Aucun des patients ayant reçu le traitement n’ont développé d’anticorps contre le facteur X ou contre l’andexanet. Il est également intéressant de noter que parmi les 220 patients qui ont repris une molécule anticoagulante lors des 30 jours du suivi, seulement 2% ont eu un événement thromboembolique (et 0 patient en ce qui concerne la reprise d’une anticoagulation orale).

Pour prendre l’exemple de la situation du patient polytraumatisé, le choc hémorragique est la première cause de décès précoce mais également la principale cause de décès évitable. D’où la notion majeure que le pronostic du choc hémorragique repose sur une réanimation agressive, et débutée la plus précocement possible. Il est bien établi que lors des hémorragies massives, des troubles de l’hémostase apparaissent favorisant et entretenant le saignement. Le pronostic du patient est ainsi considérablement aggravé si son hémostase est préalablement dégradée par une molécule anticoagulante comme avec les anticoagulants oraux directs. Or, le corps médical ne bénéficie pas d’antidote spécifique permettant une réversion rapide et durable des anti-Xa, à l’inverse de l’Idarucizumab pour les anti IIa.

Les dernières recommandations éditées par la SFAR (Société Française d’Anesthésie-Réanimation) en 2015 concernant la gestion du choc hémorragique tente de nous éclaircir sur la conduite à tenir dans les situations hémorragiques sous AOD : « En cas de choc hémorragique survenant chez un patient traité par anticoagulants oraux directs (dabigatran, rivaroxaban, apixaban) (AOD), il faut probablement tenter une neutralisation immédiate de l'effet anticoagulant de l'AOD par, soit du FEIBA 30–50 U/kg, soit des CCP 50 U/kg, éventuellement renouvelés 1 fois à 8 h d'intervalle (GRADE 2 +) ».

Depuis ces recommandations de 2015, la recherche a évolué concernant l’antidote spécifique du dabigatran (anti IIa). L’HAS en 2018 s’est prononcée favorable à cette molécule : « PRAXBIND est un agent de neutralisation spécifique de l’effet anticoagulant du dabigatran (PRADAXA), inhibiteur direct de la thrombine. PRAXBIND se lie au dabigatran avec une très forte affinité, approximativement 300 fois plus puissante que celle du dabigatran pour la thrombine. Il neutralise spécifiquement l’effet anticoagulant du dabigatran sans interférence avec les autres anticoagulants oraux. Il a l’AMM chez les adultes traités par dabigatran quand une neutralisation rapide de ses effets anticoagulants est requise, pour une urgence chirurgicale ou des procédures urgentes ou en cas de saignements incontrôlés ou menaçant le pronostic vital ». Cependant, aucun traitement n’est disponible sur le marché mondial actuellement pour contrer spécifiquement l’activité des AOD à activité anti-Xa dans les cas de saignements majeurs. L’Andexanet Alfa peut donc apparaitre comme un traitement très attendu de tous les praticiens gérant au quotidien des chocs hémorragiques majorés par le rivaroxaban ou l’apixaban.

Cet essai de phase III démontre l’efficacité de l’antidote. L’activité anti-Xa s’effondre rapidement au niveau d’un seuil négligeable après un premier bolus d’andexanet. De même, l’activité anti-Xa reste diminuée pendant 12 heures après une perfusion de 2 Heures de l’antidote. L’hémostase est également jugée efficace chez une grande majorité de patient à la douzième heure : 82% des patients dans cet essai avec l’andexanet contre 72% des patients observés dans une étude précédente avec les mêmes critères d’hémostase avec l’utilisation de CCP (concentré de complexe prothrombinique) comme antidote des antivitamines K. Selon les études cliniques, une réversion des traitements anti-Xa par le CCP ne permettait d’atteindre une hémostase aussi efficace (69% par exemple pour l’étude de Majeed et al en 2017). Ces résultats sont donc cohérents avec l'autorisation de mise sur le marché (AMM) accordée aux Etats-Unis par la FDA en mai 2018.

Cet essai démontre également la sécurité de l’andexanet. La mortalité est ici de 14% contre 32% pour l’étude de Majeed et Al avec l’utilisation de CCP. Par ailleurs, les événements thromboemboliques sont inexistants au 30ème jour après la reprise d’une anticoagulation orale. L'andexanet alfa est ainsi le seul antidote homologué des patients avec une hémorragie grave ou non contrôlée sous rivaroxaban ou apixaban.

Limites à cette étude rétrospective

  • Les conclusions de cette étude ne s’appliquent tout d’abord qu’à la population qui a été analysée : c’est-à-dire des patients blancs (87%), ayant une fonction rénale globalement préservée, étant sous rivaroxaban ou apixaban (91%), majoritairement pour de l’ACFA (80%). D’autres part les causes d’hémorragies analysées se limitent à deux situations pour 90 % des cas : l’hémorragie gastrointestinale et le saignement intracrânien. Ainsi on ne pourra tirer aucune conclusion concernant l’efficacité sur les autres situations de choc hémorragique pourtant nombreuses.

  • Même si les résultats de l’essai sont très prometteurs avec environ 80% de patients ayant une hémostase bonne ou excellente à H 12, il serait intéressant d’analyser les 20 % des patients restants (posologie de l’antidote trop faible ? mais augmentant le risque d’effets secondaires ?) Le risque de ne pas réussir à obtenir une hémostase satisfaisante chez un patient sur cinq ayant une hémorragie critique peut poser à question quant à l’utilisation de cet antidote.

  • La population analysée pose également problème dans cette étude. Pendant 3 ans et sur 63 centres, seuls 352 patients (soit en moyenne moins de 6 patients par centre sur 3 ans) ont été inclus ce qui est très faible. De plus, en 3 ans les pratiques médicales concernant le traitement des hémorragies massives se sont améliorées.

  • Pour juger réellement de l’efficacité de l’antidote il faudra probablement affiner la posologie de la perfusion continue de 2H. En effet, en regardant les résultats pour le rivaroxaban par exemple, on constate une réascension importante de l’activité anti-Xa. A H+4, l’activité de l’anticoagulant est certes diminuée de 42% en moyenne, mais l’activité anti-facteur Xa a pour médiane 121,7 ng/ml. Soit un seuil bien supérieur à celui conseillé pour pratiquer une chirurgie hémorragique en urgence.Nous retrouvons le même phénomène de rebond d’activité anti-Xa à H8 et H12 pour l’apixaban,comme pour le rivaroxaban.

  • Le design de l’étude est une faiblesse importante. Il n’existe pas de groupe contrôle. Pour juger réellement de l’efficacité et de la sécurité de l’andexanet, il aurait fallu comparer ce groupe à un autre recevant le traitement standard actuellement recommandé par la SFAR (administration de CCP). Les auteurs étant bien conscients de cette faiblesse, une étude randomisée allant dans ce sens est annoncée pour débuter l’année prochaine (ClinicalTrials.gov number, NCT03661528). Cette étude sera d’une importance capitale car il faudra justifier du surcoût très probable de cette nouvelle stratégie de prise en charge avec l’andexanet. En l’absence d’étude contrôlée, il n’est pas possible de savoir si les événements thrombotiques et la mortalité sont améliorés par l’utilisation de l’andexanet.

Un antidote spécifique très prometteur

L’andexanet alfa apparait comme un antidote spécifique très prometteur dans la gestion des hémorragies massives chez les patients traités par anticoagulant oral direct avec activité anti-Xa (rivaroxaban et apixaban). Il permet une baisse d’activité rapide de l’effet procoagulant de l’AOD avec l’obtention d’une hémostase de bonne qualité. Il s’administre selon un schéma avec un bolus suivi d’une perfusion de 2 heures.

Les effets secondaires semblent être limités mais seront à étudier plus en profondeur notamment lors de l’administration de la posologie la plus élevée. Il restera à l’andexanet de faire la preuve de son efficacité et de sa sécurité dans une étude randomisée et contrôlée contre les pratiques standard de réversion des AOD à activité anti-Xa pour être adopté et de justifier un surcoût important très probable.

En l’absence d’étude contrôlée, il n’est pas possible pour le moment de savoir si les événements thrombotiques et la mortalité sont améliorés par l’utilisation de l’andexanent.

Connolly SJ et al., Full Study Report of Andexanet Alfa for Bleeding Associated with Factor Xa Inhibitors, New England Journal of Medicine, 2019, doi: 10.1056/NEJMoa1814051

TITRE.png
bottom of page